La police en Belgique : lutter contre l’érosion d’un système intégré à deux niveaux

 

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Il est grand temps de développer une nouvelle vision sur la police en Belgique, pas tant du point de vue organisationnel que de son rôle fondamental. Trois aspects sont abordés ici :  la police comme gardienne des droits humains, sa nécessaire loyauté envers les autorités et le besoin de la doter d’autorités administratives fortes pour la guider.

 

La police ne va pas très bien aujourd'hui. Si jeter le bébé avec l'eau du bain et abandonner le système actuel n’est pas une bonne idée, il est par contre nécessaire de repenser et d’actualiser les principes de base du fonctionnement de la police, dans le cadre d'une politique policière équilibrée. Il s'agit en grande partie de résister à l'érosion que subit depuis 1998 le service de police intégré structuré à deux niveaux. Comme le souligne l’adage, "la vision précède la structure". Mais quelle peut être cette vision ?

 

La police, gardienne des droits et libertés

 

On attend des policiers qu'ils soient respectueux de la loi. Dans la pratique, cela pose un problème difficile. La police fait partie du pouvoir exécutif, qui est lui-même soumis au contrôle parlementaire. Cependant, la police opère en dehors de l'œil du Parlement. C'est pourquoi le Parlement a créé le Comité permanent de contrôle des services de police (le Comité P) afin de l'aider à exercer sa mission de contrôle, à la suite de lacunes révélées par plusieurs commissions d'enquête parlementaires. En outre, plus récemment, a été créé, également en tant qu'organe du Parlement, un Organe de contrôle de l'information policière (COC). Ces deux organes de contrôle analysent notamment les plaintes des citoyens à l'encontre de la police, le traitement des plaintes étant ensuite largement entre les mains des Services de Contrôle Interne (qui font rapport à leur hiérarchie policière) et de l'Inspection Générale (qui fait rapport au pouvoir exécutif).

 

En soi, la multiplicité des organes de contrôle n'est pas problématique. Elle le devient si le Comité P ne peut pas fournir au Parlement une vue d'ensemble structurée qui lui permette de contrôler le traitement des plaintes. Quel est l'objet de la plupart des plaintes ? Qui les dépose ? Où sont-elles déposées ? Quelle suite leur est donnée ? Pourquoi certaines plaintes sont-elles déclarées irrecevables ? Il est urgent de disposer d'une vue d'ensemble transparente et intégrée du traitement des plaintes, validée par les services de contrôle du Parlement.

 

Sont principalement en jeu ici des prérogatives policières sensibles telles que les perquisitions, les saisies, l'utilisation de menottes, les pratiques d'interpellation et de fouille, les contrôles d'identité, le ‘profilage ethnique’, la privation de liberté, le contrôle de la violence, etc. Il importe que les informations relatives à ces prérogatives sensibles soient systématiquement conservées et rendues publiques, ce qui peut contribuer à une meilleure compréhension et à un impact plus efficace de la réglementation de l'action policière. Trop souvent, des tabous existent autour de ces questions, alors que ce sont précisément elles qui nécessitent des réponses claires et nuancées. Par exemple, il semble évidemment nécessaire de tenir des statistiques claires concernant les "décès suite à un contact avec la police". Cela fait partie d'une politique de contrôle incisive de la police. Il semble également opportun d'associer à ce contrôle d'autres partenaires sociaux, comme les organisations de défense des droits humains (Unia, le Commissariat aux droits de l'enfant, mais aussi des ONG, comme la Ligue des droits humains, Amnesty International, etc.)

 

Loyauté aux autorités

 

On attend également des policiers qu'ils soient loyaux, c’est-à-dire qu'ils agissent conformément aux directives et à la responsabilité des autorités désignées par la loi. Cela signifie que la politique de la police doit être élaborée par les autorités et que la police doit la mettre en œuvre. La police ne détermine pas sa propre politique. En d'autres termes, elle ne se gouverne pas elle-même, ce qui serait une contradiction dans les termes. La police doit donc être loyale aux autorités. La gestion quotidienne et opérationnelle incombe aux supérieurs de la police, mais la politique (l'orientation du travail, la mission et les priorités) est déterminée par les autorités publiques.

 

Une politique fondée sur les faits (evidence based) peut apporter un équilibre à cet égard. Par ailleurs, une politique de sécurité globale et intégrée doit s’inscrire dans une approche sociétale plus large impliquant aussi d’autres acteurs, comme ceux du secteur des soins et de l'assistance. Elle nécessite donc une coopération avec des partenaires non policiers et les autorités ne peuvent se contenter du conseil des seuls acteurs policiers pour établir un checks & balances des politiques à mener.

 

En d'autres termes, les orientations politiques ne doivent pas être simplement imposées, mais fondées sur l'argumentation et les justifications nécessaires. Et surtout, les décideurs politiques doivent s'exprimer clairement sur les missions de la police et les conséquences qui en découlent. Cela signifie que, pour déterminer ces missions et définir le fonctionnement de la police, les autorités ne doivent pas dépendre des seules informations en provenance de la police elle-même. Cela peut sembler évident, mais il en va autrement dans la pratique.

 

Des autorités administratives puissantes

 

L’action policière est inévitablement ambigüe. Il faut une police de base, mais aussi une police spécialisée. Il faut des policiers de quartier, mais aussi des équipes d'intervention spéciales. La police est en même temps la main de fer et le gant de velours. Cependant, une question essentielle reste l'interprétation de ce qu'il faut entendre par "service policier". Cette notion place le travail policier sur le même plan que d'autres secteurs de la vie sociale, tels que les soins de santé et l'enseignement. La police est considérée comme un prestataire de services à la population. La police est avant tout "au service de" et "accessible". Bien sûr, la police est bien plus que cela, mais la ligne de base de la police comme service est claire : la police est là pour la société et non l'inverse. La police fournit attention et conseils à la population et cela fait partie intégrante de sa mission administrative de base. La mission d'assistance de la police ne peut être confinée à la police de quartier, elle doit imprégner l'ensemble des acteurs policiers. On ne fournit pas d'aide ou d'assistance "sur rendez-vous".

 

Des notions telles que "police intégrale" et "police équitable" constituent des lignes directrices à cet égard. Dans un passé plus lointain, ces notions fondamentales avaient des significations claires, mais elles se sont érodées avec le temps. À l'époque de la création des zones inter-polices, l'expression "police à part entière" signifiait plusieurs choses pour les corps de la police locale : une répartition des effectifs de police correspondant à la norme de sécurité minimale fixée par la norme "KUL" (soit, la clé de répartition des effectifs disponibles sur le territoire du pays[1]), un service de garde 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, des points de contact en nombre suffisant, une coopération mutuelle entre les corps, etc. Aujourd'hui, la notion est étayée par le respect de sept "fonctionnalités de base", de sorte que ces fonctions ont rapidement été considérées comme des "services" et, dans une moindre mesure, comme des "fonctions".

 

En 2024, il est nécessaire de renouveler et d’actualiser la notion de "fonction de police à part entière". Ce n'est qu’avec une vision claire des "fonctions" (et donc pas des "services") qui doivent être remplies de manière qualitative au niveau local, ainsi que des critères utilisés pour les déterminer, qu'une réaffectation fondamentale des moyens et des capacités policières pourra être envisagée. Pas l'inverse. La fusion des zones de police à plus grande échelle sera un coup d’épée dans l’eau si cette question n'est pas abordée d’abord.

 

Il est clair que la norme de sécurité minimale existante ne répond plus du tout aux besoins actuels. Établir une taille critique pour chaque zone de police sur la base des besoins actuels doit redevenir une priorité politique. Il est évident que cet exercice devra s'accompagner d'un réexamen de la division actuelle du pays en zones de police. En ce sens, il n'est plus défendable de s'en remettre uniquement à la bonne volonté des communes pour procéder ou non à une fusion, même s’il faut prévoir une marge de consultation.

 

La majeure partie du financement des zones de police locale (2/3 du total) provient des communes elles-mêmes, le principe étant que les communes parviennent entre elles à un consensus sur la répartition de l'allocation de chaque commune à la zone de police. En cas d’absence d'accord sur la clé de répartition, celle-ci se fait selon les règles fixées dans un Arrêté Royal. Tant que la police locale est largement financée par les communes elles-mêmes, l'adage "celui qui paie, décide" s'applique. Toutefois, rien n'empêche les décideurs de financer des initiatives supra-zonales, entre différentes zones de police. Il ne fait aucun doute que de nombreuses économies d'échelle peuvent encore être réalisées dans ce domaine.

 

Paul Ponsaers

Professeur émérite

Université de Gand


[1] Plusieurs tentatives ont eu lieu pour réviser cette norme, sans succès.